L’inspiration...
Quelle
que soit la méthode utilisée pour l'écriture de chansons, une vie
à percer des secrets, à maîtriser des techniques, ne rapproche pas
de sauter sereinement dans le vide de la page blanche.
« L’étude du beau est un duel où
l’artiste crie de frayeur avant d’être vaincu » a écrit
Baudelaire...
Tout
peut être l’étincelle de départ : un film, un personnage, un
mot, une phrase, un fait divers, une personne, un objet, une idée,
un morceau de vie, un sentiment... La source d’inspiration peut se
trouver partout ici bas, il faut savoir la trouver.
En 1961,
Gilbert Bécaud entend dans un avion l’actrice Elga Andersen
répéter Et maintenant, qu’est-ce que je vais faire ? Il en
parle à Pierre Delanoë. Résultat : Et maintenant, à
laquelle Bécaud ne croit pourtant pas beaucoup en l’enregistrant
en 1962. Enorme succès en France, puis outre atlantique, où la
chanson devient What now my love, reprise entre autres par
Franck Sinatra et Judy Garland.
Encore
Bécaud, assis un jour face à Delanoë qui lui demande: « Dis-moi
le premier mot qui te passe par la tête ». Réponse : Orange...
Chacun connaît la suite : Tu as volé as volé as volé
l’orange.
Marylou
étant le prénom de la standardiste de l’hôtel de Michel
Polnareff qui a inspiré son auteur Jean René Mariani pour Good
bye Marylou. C’est quand le bonheur est une phrase entendue par
Cali dans un mariage.
Vous
écrivez d’abord la musique ou les paroles ?
« Le
mot, là, ne serait pas le même s’il y avait une autre note
dessous ! Un recueil de textes, c’est informatif mais incomplet,
car il est impossible de juger les paroles des chansons sans leurs
musiques ». J.J. Goldman. encore. Même chez les plus
grands auteurs certaines paroles peuvent sembler banales si on ne
fredonne pas en les lisant. « Les chansons ne sont pas faites
pour être lues, mais écoutées. Distraitement. C’est la musique
qui peut accrocher l’oreille et faire entendre les paroles. Les
paroles sont derrière, en second plan ». Alain Souchon.
La
mélodie serait plus forte que le texte ?
« En
fait la musique est indispensable dans mes chansons… Il faut que le
public qui m’écoute oublie la musique, il faut que la musique soit
comme de la musique de film, qu’elle soit en dessous, il faut
surtout jamais qu’elle ne prenne le pas sur les paroles ». Georges
Brassens.
Un texte
très fort peut se passer d’une grande mélodie... et vice versa.
Les
compositeurs auteurs
Ecrire
le texte après la musique est la méthode préférée des musiciens.
Il n’est pas aisé de marier les temps forts de la musique et ceux
des paroles. Les notes déterminent un certain nombre de syllabes par
ligne, de lignes par strophe. La difficulté vient d'ensuite
manipuler les mots pour qu’ils rentrent dans le carcan de la
mélodie. Sanseverino dit mettre plus de trois mois à écrire un
texte sur une musique terminée en un quart d’heure.
Par
l’atmosphère qu’elle dégage la mélodie conditionne le choix
des mots, elle implique un certain choix de sens, de sons et de
rimes. « Je ne sais jamais en composant la musique, de quoi
parlera la chanson ». J.J. Goldman.
La route
de ceux qui écrivent d’après la musique passe fréquemment par le
yaourt, terme du métier pour charabia. On chante
n’importe quoi, souvent en pseudo anglais, avant d’écrire le
texte définitif. « Je commençais par le franglais ou le yaourt.
Les sons du yaourt étaient idéaux pour le placement de ma voix.
Ensuite il fallait coller des mots qui sonnent et les coller à la
place. C’était mon obsession ». Michel Polnareff.
« C’est
dangereux. Je me suis rendue compte que j’en étais prisonnière,
on s’habitue aux sonorités, au non-sens alors que c’est
important de dire des vraies choses aux gens ». Zazie.
Les
anglais aussi utilisent parfois une sorte de yaourt. Paul mac
Cartney raconte que sur la chanson qui allait devenir «Yesterday»
il chantait dans les premiers temps les paroles... scrambled eggs
(œufs brouillés).
L’adaptation en français d’une
chanson étrangère est un autre exercice d’écriture après la
musique.De nombreux paroliers ont écrit des versions françaises des
grands tubes américains, et ce massivement à l’époque yéyé.
Claude
Nougaro est la référence en ce qui concerne l’écriture sur la
musique, sur le jazz, sa patrie mentale. Il a fait mentir
Gainsbourg qui disait le jazz intraduisible en français et pendant
une quarantaine d’années le motsicien a fait swinguer les
vers à la recherche de sens, de sensualité, de perfection.
On
appelle monstre la première mouture du texte, premier jet
construit avec les premiers mots qui passent par la tête pour
marquer et sentir la mélodie.
En 1935,
à Jean Nohain qui venait lui proposer le texte définitif d’une
chanson appelée Couci couça, Maurice Chevalier avait préféré
le monstre de départ suivant : Quand un vicomte / Rencontre un
aut’ vicomte / Qu’estce
qu’ils s’ racontent ? / Des
histoires de vicomtes... Jean Nohain Quand un vicomte (Raoul
Breton) 1935. Le succès a donné raison au chanteur.
Les
auteurs compositeurs
Au
commencement était le verbe...La plupart des grands auteurs écrivent
d’abord le texte. Une idée amène un texte qui inspire une musique
puis un arrangement. Brassens commençait par les paroles, avec une
ébauche de mélodie, cas de figure le plus fréquent pour les
auteurs qui composent.
Brel
disait écrire la musique et les paroles en même temps. Les mots
représentent les lignes, et la musique la couleur.
Certains
écrivent de telle heure à telle heure, souvent tôt le matin. La
plupart suivent un rituel quasi maniaque, entourés d’objets
gris-gris. D’aucuns calculent que réussir deux bons vers par
journée de travail donnera par mois une cinquantaine de lignes soit
à peu près deux chansons, donc une vingtaine de titres par an,
assez pour choisir les douze meilleurs, dont peut être un succès...
Gainsbourg
préférait à cette méthode celle d’écrire au dernier moment,
dans l’urgence. Etienne Roda Gil était célèbre pour livrer ses
textes en retard. « Les chansons c’est comme les enfants, il
faut attendre neuf mois pour qu’ils soient bien formés, mais
ensuite, sauf accident, ça ne prend pas longtemps à sortir ».
Certains avancent sur plusieurs chansons simultanément, passant de
l’une à l’autre comme on serre progressivement les boulons d’une
roue de secours.
Le
parolier travaille ses mots au quotidien pour « muscler » son
inspiration, comme le musicien fait des gammes ou le sportif
s’entraîne à courir des kilomètres.
L’état
de grâce.
A chacun
sa définition du moment magique de l’inspiration, ce moment que
l’on dit si rare que le nombre de fois qu’il survient dans une
vie se compte sur les doigts d’une main. Tout créateur rêve de
vivre encore et encore cet état de grâce, parfois appelé « duende
».
Quand
tu écris quelque chose d’exceptionnel, tu le sais immédiatement.
La trouille survient, immense, « c’est bien de moi, ce truc ? »
Tu as l’impression que tout ça a été dicté. Michel
Polnareff.
Plusieurs
de mes collègues m’ont confirmé cette sensation d’avoir écrit
leur plus belle chanson sous la dictée d’on ne sait quel lutin
souffleur ou quel Cyrano tapi de l’autre coté du miroir. Adamo
(A ceux qui rêvent encore).
La
panne.
Chacun
des grands auteurs a connu un jour la cruauté du moment de
non-inspiration, quand l’imagination tourne en rond. Ce manque
d’inspiration, de quoi naît il ?
Le plus
souvent, de la routine. L'art l'a en horreur, et encore plus l’auto
imitation. Sans doute aussi de la perte de confiance dans ses mots.
La panne peut provenir d'une crainte excessive, et ce même après un
succès, quand celui-ci engendre une trop grande peur de décevoir.
Avant
d'être «émetteur», l'auteur est «récepteur », mais il a
du mal à accepter comme normaux ces moments où l'esprit se
"recharge".
Vivre
plus fort.
Par
essence le créateur se doit de toujours offrir de nouvelles
perceptions de la beauté. Arthur Rimbaud prônait « un long,
immense et raisonné dérèglement de tous les sens ». Le mythe
de l’artiste maudit qui brûle sa vie pour éclairer des zones
inexplorées de l’être humain est en voie de disparition mais il a
la vie dure et certains croient encore que certaines lucidités
naissent de l’ivresse. La gloire et l’argent démultiplient les
accessibilités aux excès qui peuvent mener à une solitude que de
nombreux artiste, à l'instar de Nino Ferrer, un jour ne supportent
plus de payer.
Du
travail.
Une
grande chanson peut être vite achevée, mais cela reste peu
fréquent, L’inspiration ne se limite pas à une grande idée de
départ. Elle est nécessaire tout au long du processus d’écriture.
«
J’écris ce qui me passe par la tête et j’essaie de bien le
faire.Une idée me vient je ressens une émotion, j’essaie de la
traduire avec des mots, et puis je la rumine pendant quelques jours,
quelques semaines. J’ajoute quelque chose, j’enlève. J’enlève
plus que je n’ajoute d’ailleurs, et au bout de quelque temps je
ne peux pas aller plus loin ». Brassens.
«
L’inspiration pour moi, c’est une réflexion profonde qui dure
deux à trois jours. Il arrive un moment où je n’en peux plus de
ne pas l’avoir écrite ». Brel.
Tous les
grands auteurs disent l'intensité du travail qu'ils ont du fournir
pour que chaque vers soit de qualité.
Les
dieux, gracieusement nous donnent pour rien tel premier vers ; c’est
à nous de façonner le second, qui doit consonner avec l’autre, et
ne pas être indigne de son aîné surnaturel. Paul Valéry.
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