Ferrat, Greco, Montand, Ferré, Balavoine, Renaud et beaucoup
d’autres, notamment dans le rap, sont des chanteurs engagés. Chacun réagit avec sa différence aux circonstances qu'il n'accepte pas de subir, chacun n’hésite pas à déranger, déconcerter, pour faire passer son message à l'auditeur et attirer son attention sur un problème de
société, chacun teste les limites de la censure et symbolise la
liberté d’expression.
Notre présent éclaire le ressenti des artistes du passé de lumières inconnues lors de leurs écritures.
Les
exemples suivants remettent en mémoire leurs réponses en chansons aux violences du monde.
Depuis
toujours, des combattants partent à l’assaut en
entonnant des chants de guerre pour se donner du courage.
La
majorité des chants de la révolution sont restés vivants dans
notre mémoire, tel l'hymne de ralliement des sans culottes.
Ah
ça ira, les aristocrates on les pendra. Ladre
Ça
ira 1790.
Aux
armes citoyens ! / Formez vos bataillons ! Rouget de Lisle La
marseillaise 1792.
Ce
Chant de guerre pour l’armée du Rhin écrit par le
lieutenant Claude Rouget de Lisle, contient des paroles guerrières
que beaucoup voudraient voir réécrites. Aux plumes, citoyens ?
La
victoire en chantant nous ouvre la barrière / La liberté guide nos
pas. Marie Joseph de Chénier Le chant du départ 1794
Debout
les damnés de la terre, debout les forçats de la faim. Eugène
Pottier L’internationale 1848.
Ecrite
pendant la commune, L’internationale n'est mise en musique que 40
ans plus tard par Pierre Degeyter et devient l’hymne soviétique
jusqu’en 1944. Eugène Pottier est mort dans la misère.
Quand
nous chanterons le temps des cerises / Et gai rossignol et merle
moqueur seront tous en fête. Jean-Baptiste Clément Le temps
des cerises 1866.
Les
droits du texte sont échangés à Antoine Renard contre une pelisse. Ce dernier écrit la musique
et
crée la chanson en 1868 à l’Eldorado. 19 ans plus tard, en 1885,
la chanson est dédiée à la vaillante citoyenne Louise qui
ravitailla les combattants de la rue de la Fontaine au Roi. De par
l’engagement de son auteur pendant ces événements, la chanson devient symbole du massacre des Communards. Elle a connu
nombre de reprises, de Tino Rossi à Mouloudji ou Montand.
Jean-Baptiste Clément a également écrit Dansons la capucine.
Je
ne vends pas mon lait au fils d’un allemand. Villemer et de
Lormel Le fils de l’allemand 1882.
Ces mots qui se veulent
« patriotes » n’ont pas de quoi rendre fier.
La
Madelon vient nous servir à boire / Sous la tonnelle on frôle son
jupon. Louis Bousquet La Madelon 1914.
Les
poilus rêvaient de Madelon, symbole du repos du guerrier. La chanson
est devenue hymne des tranchées.
Mais
c’est fini, car les troufions vont tous se mettre en grève / Ce s’
ra votre tour, messieurs les gros, de monter sur l’ plateau / Car
si vous voulez la guerre, payez-la de votre peau ! anonyme. La
chanson de Craonne (ou de Lorette) 1917 (recueillie par Paul
Vaillant Couturier).
Une
bonne raison à cet anonymat : 1 million de récompense est offert a
qui dénoncera l’auteur de ce texte écrit sur l’air de Bonsoir,
mamour , et relatant la mutinerie de soldat épuisés et
désespérés après le carnage du Chemin des dames. Lle fils de
Bruand fait partie des morts. 49 mutins seront exécutés, le général
Nivelle sera limogé. Pétain, alors héros, calme la situation avec
un peu de rab de nourriture et de permissions.
Lui
aussi aura sa chanson en 1941, Maréchal nous voilà , hymne
quasi officiel à l’époque que la France essaie d’oublier, lui
préférant une autre chanson pour cristalliser cette période:
Ami,
entends-tu le vol noir des corbeaux sur nos plaines ?/ Ami, entends
tu les cris sourds du pays qu’on enchaîne. Druon et Kessel Le
chant des partisans (Breton/ Nouvelles Editions Méridian) 1944.
Douce
France, doux pays de mon enfance. Charles Trenet Douce France
(Salabert) 1943. Le texte de Trenet à l'innocente apparence est ressenti comme subversif et
fait « tousser » plus d’un Allemand pendant la guerre. Dans une
version orientale par le groupe Carte de séjour, il prend en 1987
une nouvelle dimension, celle de l’intégration des jeunes
d’origine arabe.
La
chanson sort à la fin de la guerre d’Indochine et sera un symbole
de la guerre d’Algérie qui va commencer. Elle est vite interdite
d’antenne.
En temps de paix, les chants de guerre font place aux chants politiques. Les pamphlétaires existent sans doute depuis l’aube de l’humanité.
Avant Louis XIV, les "mazarinades" , violentes satires, envahissent les rues et dénoncent et ridiculisent Mazarin.
A la fin du 19eme siècle abondent des chansons sur les problèmes sociaux. Béranger, Aristide Bruant sont les géants
de cette tradition.
Aux bourreaux crie ta volonté / Défends ta chair, défends ton sang! / À bas la guerre et les tyrans ! Gaston Montehus La grève des mères 1905.
Anarchiste, pacifiste, ami de Lénine, Montehus fut condamné à cause de cette chanson pour incitation à l’avortement.
Y
en a pas un sur cent et pourtant ils existent / La plupart fils de
rien ou bien fils de si peu / Qu’on ne les voit jamais que lorsque
l’on a peur d’eux. Léo Ferré Les anarchistes
(Mathieu Ferré and Co) 1960.
Une
chanson manifeste des anars, comme Ni dieu ni maître (1964). Brassens, Lavilliers, Renaud, sont aussi sympathisants anarchistes. Ferré n'a pas froid aux yeux, question engagement. Il n'hésite pas a revetir ses pochettes de disque des mots vote connard !
Bien
souvent, l’orientation politique ou la religion sont affaires
d’origine. D’époque aussi, et le vécu de chacun à également
sa part dans la construction des idées. Jean Ferrat est né le 26
décembre 1930 à Vaucresson et son père Mnacha Tenenbaum, juif
d’origine russe, est mort en déportation pendant l’Occupation.
Faut il voir la raison de son engagement communiste dans le fait
qu’un militant du parti lui ait sauvé la vie à l’âge de 11 ans
?
Les
bourgeois c’est comme les cochons / Plus ça devient vieux plus ça
devient… J. Brel Les bourgeois (Bagatelle) 1962.
Brel
est maître es caricature des petitesses de l’humanité. Il a
souvent critiqué les bourgeois et a chanté Jaurès en 1977,
mais peut on le qualifier d’engagé ? Il n’apprécie pas qu’on
le fasse. Pour lui la chanson est une manière décente de
raconter ses petites idées.
Si
les Ricains n’étaient pas là, vous seriez tous en Germanie / A
parler je ne sais quoi, à saluer je ne sais qui. Michel Sardou
Les Ricains (Nouv. Barclay) 1966.
L’engagement n’est pas
toujours de gauche et Sardou n’a pas chanté que des thèmes
légers, il crée souvent la polémique : J’habite en France, Le
France, Le temps des colonies, J’accuse, Je suis pour, Cent mille
universités, Vladimir Ilitch, Les Deux Ecoles.
Et
comme toutes sont entre elles ressemblantes / Quand il les voit
venir, avec leur gros drapeau / Le sage, en hésitant, tourne autour
du tombeau. Georges Brassens. Mourir pour des idées (Editions
57) 1972.
Des
idées, Brassens en a des pas très tendres pour les puissants,
juges, gendarmes, militaires. Sur le même thème, une autre de ses
chansons a fait scandale, qui met en scène un oncle anglais et un
oncle allemand :
De
vos épurations, vos collaborations / Vos abominations et vos
désolations / De vos plats de choucroute et vos tasses de thé /
Tout le monde s’en fiche à l’unanimité. Georges
Brassens. Les deux oncles (Editions
57) 1965.
Tu
bosses toute ta vie pour payer ta pierre tombale / Tu masques ton
visage en lisant ton journal. Bonvoisin Antisocial (EMI)
1980 Trust.
Aujourd’hui
on n’a plus le droit / Ni d’avoir faim ni d’avoir froid /
Dépassé le chacun pour soi / Quand je pense à toi je pense à moi.
J.J. Goldman Les restos du coeur (Goldman) 1986.
Les
artistes français se retrouvent régulièrement pour encourager le
public à faire des dons aux grandes causes humanitaires.
J’pense
à ces cons qui s’ font chier dans l’ midi / Tous ces torche-culs
qui vont cuire dans leurs jus / Tous ces noyés, la mer quelle
saloperie. Mellino/Rota Voila l’été (EMI Delabel) Les
négresses vertes 1989.
Helno
(Noël Rota) le chanteur des Négresses Vertes, souffle le chaud et
le froid dans des paroles dont on ne perçoit pas toujours la
violence derrière la musique entraînante et métissée du groupe,
qui ne s’est pas remis de sa mort d’une overdose en 1993.
Miss
Maggie . Selon Renaud, le drame du stade du Heysel, provoqué par
les hooligans anglais lors d’une finale de football, a été généré
par la politique de Thatcher. Il crée le scandale en Angleterre.
Aïe,
on nous fait croire / Que le bonheur c’est d’avoir / De l’avoir
plein nos armoires / Dérisions de nous dérisoires.
Alain Souchon. Foule
sentimentale
(BMG) 1993. La musique de cet hymne est aussi signée par le même
Souchon, dont la « tendre » révolte est devenue une référence
d’incitation à réfléchir exprimée avec légèreté.
Mais
je suis sûr qu’on nous prend pour des cons / mais j’en suis
certain / Quelque chose ne tourne pas rond.
RDG, Yoyo M’ Boueke Sur
et certain
(EMI/ Del Abel) 1994 interprétée par Tonton David
On
va rester motivés pour la lutte des classes / On va rester motivés
contre les dégueulasses.
Zebda Motivés
1997.
En
1997 trois membres du groupe Zebda montent l’assoTactikollectif qui
soutient les sans papier et se trouvent à l’initiative du disque
et du mouvement Motivé. En 1999, Zebda obtient une Victoire de la
Musique pour Tomber
la chemise.
J’attends
2007 / C’est mon seul espoir / De sortir du brouillard / Voir
Chirac en prison.
Didier Cappedelaine Chirac
en prison
(Atmosphériques) Les Wampas 2006
Allons
à l’Elysée, brûler les vieux et les vieilles / Faut bien qu’un
jour ils paient / Le psychopathe qui sommeille en moi se réveille.
Lopes Morville Qu’est
ce qu’on attend
(EMI/Authentik/IV my people) 1995 NTM.
Le
rap marque fin des années 80 une cassure avec la chanson
traditionnelle. Blacks et Beurs chantent les leurs, coincés
comme eux entre la culture française et celle des pays d’origine.
Ils témoignent avec des accents d’exaspération et de désespoir
de leur milieu défavorisé, des banlieues ouvrières, de
l’immigration, de l’exclusion. La musique est d’inspiration
américaine comme le rock pour la précédente génération, le
vocabulaire est « branché », mots anglo-saxons, agression de mots
pornographiques. Comme le rock encore, le rap choque pour attirer
l’attention et son goût
pour
la provocation et la rébellion dépasse le cadre d’un public
adolescent.
Un
artiste est-t-il vraiment un contre-pouvoir politique ?
Pour
certains, il ne fait que tirer la langue. Ah bien sûr, si
j’avais cette hargne mordante des artistes engagés qui osent
critiquer Pinochet à moins de 10 000 Km de Santiago. mais je n’ai
pas ce courage. Pierre
Desproges.
La chanson engagée est une composante fondamentale, récurrente, de la chanson française. L'état de notre monde laisse présager que nombre
de chants de révoltes verront encore le jour.
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